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PHILIPPE PISSIER ARCHIVES (PPA)
4 octobre 2008

L'amère pudeur

Lorsqu’on franchit le pont Valentré le regard butte sur un mur de rocher masquant l’infini de l’horizon, à croire que le Diable, dont on dit qu’il aida sa construction, voulut qu’en sortant de Cahors on ne pût embrasser toute la beauté du monde. Dante lui-même, dans son chant XI de l’Enfer, assimile la ville aux pires turpitudes:

“et c’est pour ce motif que le petit giron

scelle du même sceau Sodome avec Cahors

et ceux qu’on voit crier tout leur mépris au ciel.”

Fort sans doute de la caution du Diable et de l’anathème de Dante, on ne badine pas avec la pudeur du côté de la bonne cité du pape Jean XXII. Philippe Pissier doit en savoir un brin, lui qui fut auditionné pour avoir osé expédier d’Allemagne quatre cartes postales. La maréchaussée perquisitionna son domicile, saisit son ordinateur et quelques unes des oeuvres de cet artiste. Le dangereux pornographe encourt trois ans de prison et 175.000 euros d’amende.

Tout commença au centre de tri de la poste où quelques ilotes bilieux jugèrent que les cartes, représentant le buste d’une femme dont les seins arboraient fièrement une pince à linge, attentaient à leur pudeur, et vertueusement indignés déposèrent une plainte. L’affaire aurait peut-être pu en rester là, mais quand le linge est suspendu il faut bien le rentrer, ou plus localement lorsque le vin de Cahors est tiré il faut le boire, alors Isabelle Ardeef, substitut du procureur de la cité viticole, décida d’une enquête préliminaire et notre artiste, convoqué à la gendarmerie, apprit qu’il troublait l’ordre public et mettait en danger le psychisme des enfants.

Les bras m’en tombent et je me demande si la Vénus de Milo, qui a perdu les siens depuis longtemps, et dont les enfants peuvent détailler allègrement l’anatomie, n’attente pas elle-aussi à la pudeur en exhibant son moignon et son morceau d’épaule, seins nus; ceci expliquant peut-être cela d’ailleurs, la pauvrette ne pouvant remonter son himation qui heureusement cache le sexe, mais laisse voir, horreur, le nombril. Je ne sais pas si les pinces à linge étaient déjà connues vers l’an 100 avant Jésus Christ, je pense que non, l’artiste de l’époque les ayant dès lors certainement utilisées pour retenir l’effet pudique, comme on le fit quelques siècles plus tard lorsque les bons pères, adorateurs du fils et ancêtres de Tartuffe, vêtirent les statues qu’ils jugeaient indécentes.

Vous me rétorquerez, avec raison je vous l’accorde, qu’une pince à linge, mise au bout d’un sein, serrant l’adorable mamelon que je tétais goulûment autrefois et plus délicatement aujourd’hui, peut provoquer quelques manifestations orales de la part de la personne qui tente l’expérience. Guère plus peut-être que le pincement, effectué par sa soeur, que subit Gabrielle d’Estrée annonçant l’oeuvre intime du Vert Galant, dont vous pouvez contempler la beauté dans le tableau en haut de page, reproduction prise sur Wikipédia, n’ayant plus mes bras, comme indiqué précédemment, pour sortir mon Nikon et mes livres d’art. 

Alors de là à pousser des cris d’effraie jusqu’au poste de gendarmerie, à réveiller tous les vieux démons se voilant la face mais pas l’envers, il y a un pont à franchir qu’empruntèrent, toute honte bue, les pudiques cadurciens pour la salubrité de la société, le salut de la république et la joie des incultes.

Je leur signale à toutes fins utiles que les deux oeuvres commentées ci-dessus, comme tant d’autres, datent d’une époque laissant envisager la prescription et que leurs auteurs sont anonymes. Inutile donc d’ameuter les brigades voisines de tous les musées de France pour les rechercher. En revanche les kiosques à journaux, les maternités où les femmes allaitent, les galeries photos ou de peinture, les défilés de mode, les régies des publicistes, les cabines de camions, les plages de nudistes ou pas, les éditeurs, les cinéastes, les blocs opératoires où l’on joue du scalpel, les instituts médico-légaux où l’on dissèque, les salles de garde, l’atelier de mon garagiste et tant d’autres lieux que j’oublie comme les sex-shops, les grands magasins, ceux de lingerie ou du grossiste en plomberie où je vais quelques fois, sont des sources d’inspiration illimitées pour nos censeurs académiques.

Décidément nous vivons une époque remarquable où les vacanciers se baladent dans nos villes en tong et en slip, baudruches graisseuses juchées sur des cotons-tiges, les jours de canicule sans que quiconque ne s’offusque de cet attentat estival au bon goût, à la grâce, à la beauté, à la pudeur et qui, l’automne imposant une certaine décence vestimentaire, voit s’écarquiller les yeux de tous les pères et mères la pudeur se réveillant aux premiers frimas.

Blog de Patrick Pike, 25 septembre 2008.

http://patrickpike.blogsudouest.com/2008/09/25/lamere-pudeur/

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